Crise sanitaire : le paradoxe des billets

La demande exprimée de billets en euros ne cesse d’augmenter. Cette tendance structurelle ne s’est pas démentie avec la crise Covid. Ainsi, chaque année, les sorties de billets sont supérieures aux entrées. Les billets qui sortent et qui ne reviennent pas gonflent le stock des billets en circulation (cf. les « émissions nettes » sur le graphique).

En revanche, la crise sanitaire a eu un impact très marqué sur l’utilisation des billets comme moyen de paiement. La chute a été particulièrement sévère au printemps 2020, lors de la première vague de l’épidémie. La baisse sensible de la consommation des ménages, en lien avec des difficultés économiques mais aussi la fermeture des commerces, cafés et restaurants, pendant plusieurs mois, expliquent en partie la baisse des flux. Le relèvement de 30 à 50 euros pour le plafond du paiement par carte sans contact en mai 2020 a aussi pu jouer.

La tendance baissière de l’utilisation des espèces, ancienne et structurelle, renforcée en 2020 par la crise Covid, est plus généralement liée aux changements dans les moyens de paiement privilégiés par les Français, de plus en plus dématérialisés. Ces évolutions sont confirmées par les retraits aux distributeurs automatiques de billets.

Hausse de la demande, baisse des usages, c’est ce que l’on appelle « le paradoxe des espèces ». À la désaffection des espèces comme moyen de paiement s’oppose l’attrait des espèces pour d’autres motifs. Plus précisément, au niveau de la zone euro, les travaux récents montrent que sur 100 euros en circulation, environ 20 seraient susceptibles de servir au paiement des transactions, 40 seraient conservés et stockés par les particuliers de la zone euro et 40 seraient conservés et stockés en dehors de la zone euro (notamment, en Europe centrale et orientale, en Afrique ou encore au Proche et Moyen-Orient et en Asie).

Cet intérêt majeur pour la monnaie fiduciaire en tant qu’actif de réserve rend également compte de l’affirmation de l’euro comme référence internationale (en termes d’émissions nettes, il arrive juste après le dollar). Le motif de thésaurisation (constitution de réserves de billets stockées par des particuliers) s’est renforcé à l’occasion de la crise sanitaire, notamment, au moment de la première vague, alimenté par le climat de forte incertitude économique.

Vingt ans après l’introduction des pièces et billets en euros dans les poches des Français, l’euro fiduciaire a donc encore de beaux jours devant lui, avec des dynamiques sous-jacentes qui ont changé, le « moteur » transactionnel étant clairement passé au second rang derrière la motivation liée au rôle des billets en euros comme actif de réserve, dans la zone euro ou au-delà.

Flux de billets en valeur aux guichets de la Banque de France et émissions nettes (billets en circulation, en milliards d’euros)