Pour les économies française et européenne, réussir l’après-Covid

Synthèse du discours du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau,
à l’Université Paris Dauphine-PSL, le 18 janvier 2022

Depuis deux ans, notre débat économique vit dans la pression de l’urgence Covid, dans un présent permanent qui masque nos défis structurels de l’après-crise. Aujourd’hui, l’image est celle d’une inflation qui inquiète, mais d’une croissance solide malgré Omicron. D’ici deux ans cependant, les préoccupations devraient s’inverser : l’inflation se normaliserait autour d’un « nouveau régime » proche de notre cible de 2 %. À l’inverse la croissance retomberait en dessous de 1,5 %. C’est cela que nous devons changer. Gagner 0,5 % de croissance potentielle chaque année, ce serait sortir de deux maux français permanents : un pouvoir d’achat des ménages qui progresse mais – un peu artificiellement – au prix d’une dérive de la dette publique ; un taux de chômage qui, malgré des progrès récents, reste très supérieur aux 5 % du quasi plein emploi chez nombre de nos voisins.

Comment faire ? La dimension européenne pourrait nous apporter un tiers de cette croissance additionnelle, à travers les deux grandes transformations « schumpétériennes » : la révolution numérique, et la transition écologique. Mais il y faudra trois leviers transversaux : relancer le marché unique ; augmenter les chances de formation et de compétences dans les pays du Sud, dont la France ; mettre en commun nos financements. L’Europe a d’un côté les ressources, un excédent d’épargne de 300 milliards d’euros par an, de l’autre les énormes besoins d’investissement numériques et écologiques : pour construire le pont entre les deux, il est urgent d’accélérer sur l’Union des marchés de capitaux.

Restent, pour la majeure partie, deux défis plus spécifiques à la France, et d’abord l’insuffisance de notre offre de travail disponible. Pour augmenter la croissance potentielle, nous ne manquons pas de dépenses publiques, ni globalement de capital, nous manquons de travail. La France voit coexister des difficultés de recrutement pour plus de 50 % des entreprises, et encore 2,4 millions de chômeurs, dont 600 000 jeunes : ce paradoxe est socialement inacceptable. Notre déficit de taux d’emploi par rapport à l’Allemagne représente près de 3 millions d’actifs, concentrés sur les jeunes et les seniors. Les leviers de réformes s’en déduisent : pour les jeunes, le renforcement de l’éducation fondamentale et de l’apprentissage ; sur les seniors, une réforme juste des retraites. Et pour tous les actifs, une formation professionnelle mieux orientée vers la bataille clé des qualifications ; un dispositif d’assurance-chômage qui incite bien au long terme et au travail ; des augmentations négociées de salaires pour les emplois qui souffrent d’un déficit d’attractivité. Ces leviers, dont plusieurs ont été initiés, doivent être additionnés au lieu d’être trop souvent opposés, et mis en œuvre avec persévérance plutôt que de rester des annonces éphémères. Alors, nous pourrions viser d’ici dix ans le plein-emploi et la maîtrise enfin de notre dette.

L’endettement public massif est en effet l’autre grand défi français : après son augmentation justifiée face à la crise Covid, la poursuite à l’avenir des tendances actuelles ne conduirait au mieux qu’à sa stabilisation autour de 115 % du PIB. Ceci ne serait pas soutenable, compte tenu de la montée probable des taux d’intérêt, des besoins d’investissement écologique et de l’éventualité d’une nouvelle crise. Il faut donc le dire face aux multiples propositions actuelles de dépenses nouvelles ou de baisses d’impôts : notre pays n’a plus moyen de dégrader davantage ses finances publiques.

Une stratégie de désendettement crédible est à l’inverse possible en combinant trois ingrédients : le temps – sur 10 ans, on peut ramener la dette publique française en dessous de 100 % –, la croissance, liée aux réformes précitées mais non suffisante ; et enfin une meilleure maîtrise et efficacité de nos dépenses publiques. Celles-ci sont aujourd’hui les plus élevées, non seulement d’Europe, mais de tous les pays développés. Il ne s’agit pas de les réduire, par une austérité si redoutée. Mais bien de freiner leur hausse annuelle : parler enfin de la qualité des dépenses peut y aider. Face à la crise actuelle des services publics, la modernisation et la mobilisation indispensables ne sont pas incompatibles avec la performance et le management ; et les dépenses d’avenir – de l’éducation aux investissements – ont un meilleur effet multiplicateur sur la croissance à terme.

Retrouvez l’intégralité du discours sur le site de l’Université Paris Dauphine-PSL et le replay de la conférence sur YouTube.