La crise du coronavirus est sans précédent, dans son imprévisibilité et sa brutalité. A l’heure où nous enregistrons les premiers progrès sanitaires – évidemment prioritaires-, le coût économique du confinement se précise : environ un tiers de perte d’activité, et donc -1,5 % de PIB annuel et presqu’autant de déficit supplémentaire par quinzaine de confinement. Ces effets sont quasiment équivalents dans tous les pays avancés, même ceux moins touchés par la pandémie comme le Japon ou l’Allemagne.
En tirer un chiffrage pour l’ensemble de 2020 reste pour autant prématuré, car nous ne sommes qu’à l’acte 1, celui de l’urgence économique. Et la réaction y a globalement été forte, rapide, efficace, notamment en France. La Banque centrale européenne de son côté a décidé en une semaine. Tous les économistes saluent l’intervention massive de l’État, seul à pouvoir « assurer » le choc. Selon les estimations de la Banque de France, il en amortit ainsi non la totalité, mais autour des deux tiers. Les entreprises et les PME doivent en conséquence bénéficier d’un bouclier de trésorerie puissant qui leur permette de traverser ce choc. Et les ménages voient donc leurs emplois et leurs revenus autant que possible préservés : les salariés ne supportent ainsi qu’environ 5 % du choc après redistribution sociale, alors que les salaires nets « pèsent » un tiers de la valeur ajoutée.
Mais il y aura un acte 2, pour repartir progressivement après le 11 mai, autour de délicats réglages. Puis un acte 3, pour rebondir avec la pleine reprise. Nous n’en connaissons pas le calendrier, mais commençons à en discerner les conditions. Un retour à meilleure fortune économique est possible : le FMI espère une croissance de +4,5 % pour notre pays l’an prochain. Mais ceci devra passer par un « triangle des réassurances », conciliant trois impératifs en partie divergents : la confiance des ménages, la solvabilité des entreprises et la soutenabilité de la dette publique.
Certains sont hélas plus fragilisés par la crise. Mais globalement, la consommation des ménages aura reculé nettement plus que leur revenu pendant le confinement, conduisant à une épargne forcée significative. Sur le mois de mars, leurs placements en dépôts et livrets, nets des crédits, semblent correspondre à une épargne additionnelle proche de 20% de leurs revenus. Il s’agira demain de transformer rapidement cette réserve en consommation et donc en croissance.
À cet égard notre défi peut ressembler à celui de Roosevelt en 1933 : rassurer des ménages inquiets, à l’époque, par une « épidémie » (le mot est de lui) de faillites bancaires. Cette fois aussi, donc, réagir vite pour combattre la pandémie et donc ancrer la confiance sanitaire. Et pour assurer la confiance économique, mieux vaudra à court terme écarter l’effet récessif de hausses d’impôts sur les ménages et ne viser la consolidation budgétaire que sur la durée.
Au-delà de l’indispensable solidarité avec les plus défavorisés, la question prioritaire pour les ménages est donc celle de leur confiance plus que de leur pouvoir d’achat. Un « chèque » généralisé n’a de sens aux États-Unis que parce qu’il y supplée un modèle social défaillant et l’absence de chômage partiel, avec déjà 22 millions de licenciements. Si une mesure fiscale pour l’ensemble des ménages était cependant éventuellement envisagée, il faudrait privilégier des incitations temporaires et ciblées à consommer leur épargne.
Pour les entreprises et les indépendants, la sortie du confinement va être potentiellement périlleuse. Malgré les mesures fortes de liquidité, des pertes non rattrapables de chiffres d’affaires auront dégradé leur solvabilité. Leur dette globale a déjà significativement augmenté, de +2 % en mars soit 37 milliards.
L’aide aux entreprises devra donc être en partie réorientée des prêts de l’acte 1, vers des quasi fonds-propres. Les secteurs durablement fermés devraient être traités par des aides ad hoc, et certains reports temporaires de charges fiscales ou sociales transformés en abandons définitifs. Parmi les autres dispositifs, Bruno Le Maire a proposé une recapitalisation publique pour des entreprises cotées si elles sont viables. Pour l’aide aux PME par contre, des prêts participatifs seront plus adaptés, comme annoncé en Allemagne. Une autre piste serait de permettre l’imputation immédiate des pertes 2020 sur l’impôt sur les sociétés de 2019. Les choix ici sont complexes, coûteux, et relèvent du débat politique ; mais pour éviter les effets d’aubaine ou les échecs ruineux, efficacité devra rimer avec sélectivité. L’acte 1 était général, les actes suivants devront prioriser.
Le prix de “l’amortisseur public” est une dette publique qui aura augmenté d’au moins 17 points de PIB à 115 % fin 2020. L’après-confinement sera donc un défi pour les finances publiques, entre reprise rapide à préserver et soutenabilité durable à assurer.
Accompagner la reprise pourrait nécessiter un traitement séparé de la dette héritée de la crise. Un tel « cantonnement », utilisé au 19ème siècle – c’est l’origine en France de la Caisse des dépôts et consignations après les guerres napoléoniennes –, a le (seul) mérite de repousser à plus long terme l’amortissement de cette dette exceptionnelle. Pour la dette future à l’inverse, associée à la relance, sa mutualisation avec les pays les plus solides avait inspiré le plan Marshall de l’après-guerre. L’idée française d’un fonds européen mutualisant de nouveaux programmes d’investissements, par exemple pour le climat, serait la meilleure traduction de la solidarité européenne. La politique monétaire enfin, si elle ne peut pas faire de miracle, pourrait aider : l’inflation faible devrait nous conduire à maintenir des taux d’intérêt bas et des liquidités abondantes pour plus longtemps.
À terme pour autant, une fois la croissance solidement rétablie, nous devrons revenir à une politique budgétaire plus sélective, et à des dépenses publiques plus efficaces. Les meilleurs investissements pour la croissance resteront ceux dans l’éducation, la formation professionnelle et un travail plus qualifié. Il y a quelques solutions partielles pour alléger le poids de la dette publique, mais dans la durée, c’est par notre travail productif de richesses que nous couvrirons collectivement le coût de ce choc.
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